Mystère du collier au Moulin Rouge


La particularité de cette enquête tenait en ce simple constat : Carla, célèbre meneuse de revues des années 20, est retrouvée morte dans sa loge au moulin rouge. Aucune trace d’effraction, mais la certitude qu’un meurtre avait bien été commis au sein du célèbre cabaret.
C’était la directrice du spectacle, Madame Amanda, qui avait trouvé le corps sans vie de Carla, le buste écroulé sur sa table de maquillage. Il était coutume, avant l’entrée en scène, que la directrice porte à la meneuse de revue, le collier de Cléopâtre, sublime prestige d’un talent avéré. Elle hurla et prévint immédiatement Jean, le gardien du moulin, pour interpeller les policiers en faction devant son établissement, lui recommandant surtout à veiller de tenir fermée la porte d’entrée des danseuses. Ensuite, alerté par ses cris, l’intendant Jules, appliqua les mesures de sécurité pour la salle. Le commissaire Albert, présent, malgré le chahut festif, comprenant qu’un drame venait de se dérouler, se précipita vers les loges, son insigne à la main, Mais quelle désolation, Carla si sublime, si pleine de vie, le corps inerte appuyée sur le rebord de la table de maquillage.
La cause de sa mort ? Le commissaire avant même l’arrivée du médecin, vérifia que son pouls était silencieux. Il souleva délicatement sa tête et l’inclina vers lui. Elle était vraiment morte, les traits de son visage creusés confirmaient qu’elle s’était éteinte dans la frayeur. Madame Amanda, le pressa de questions, Est-elle décédée ? Serais-ce un arrêt du cœur ? Un poison ? Puis elle reprit ses esprits, face aux chahuts de la salle de spectacle et aux cris des filles du quadrille, elle ordonna à Albert de faire patienter la salle et de calmer les filles qui devaient, envers et contre tout, entrer sur scène. Le médecin, conduit par un policier arriva sur les lieux, et sans un mot, débuta son travail, faisant fi du questionnement de Madame Amanda, qu’il pria de quitter la loge. Sur la coiffeuse, uniquement du maquillage, aucune boisson, seul un bouquet de roses blanches, tout encore dans son papier de soie, était renversé. Il examina le visage, les lèvres rouges écarlates le contour très nette, les paupières ombrées de poudre cendrée, comme il se doit, mais un détail l’interpella, les faux cils avaient été mis, sans grande précision. Les artistes ayant le même rituel de maquillage tous les soirs, étaient très précises dans la pose de leurs faux cils épais et noirs. Ensuite il examina le buste, puis tout le reste du corps avec grande attention. Le commissaire impatient, prenait de longues respirations, lorsqu’il aperçut l’aiguille à chapeau planté dans le cœur de Carla. Pourtant pas de sang, simplement de petites traces essuyées dans le bas du décolleté, et la robe n’était pas souillée. Il croisa le regard du médecin et conclut qu’il s’agissait bien d’un meurtre. Ses yeux trahissaient ses émotions, alors qu’il répétait « pauvre fille, une si belle fille » et dire que je ne la verrai plus dans ce spectacle. Maintenant, il faudrait aller vite, pour interroger et conduire l’enquête. Toujours sous le chahut de la scène, il rappela Madame Amanda pour lui donner ses consignes :
⁃ trouver une petite salle pour ses interrogatoires
⁃ avoir une conversation avec elle en présence de son intendant Jules et de son gardien Jean
⁃ dès leurs sorties de scène, les danseuses seraient isolées des clients et ne devraient pas
communiquer entre elles, sous la surveillance du personnel du Moulin Rouge et de deux
agents
⁃ les clients resteraient dans la salle du spectacle jusqu’à nouvel ordre
⁃ et enfin, personne ne circulera dans les coulisses et le couloir de la sortie des artistes
La directrice s’affaira pour donner satisfaction au plus vite.
Le commissaire écoutait les premières conclusions du médecin. Cette fille a été cruellement poignardée en plein cœur avec cette épingle à chapeau, sa mort a été instantanée , mais elle a été habillée et maquillée après son décès, car son costume n’est pas tâché de sang. Ses traits de visage crispés sont dus à la peur, surprise elle ne présente aucun geste de défense. Quel drame, celle qui faisait rêver, celle que beaucoup d’hommes convoitaient, ne sera à personne, et de rajouter
« Commissaire, elle a uniquement une sœur Rose pour famille, qui travaille comme habilleuse, mais personne n’était au courant, car Rose avait échoué par deux fois aux épreuves du Moulin et voulait obtenir sa place, sans ne rien devoir à sa sœur » Enfin, il rangea ses instruments dans sa sacoche, et lui lança comme de coutume, je vous envoie mon rapport au plus vite, en franchissant le seuil de la loge. Une dernière question, serait-ce l’œuvre d’une femme ? Le médecin fut formel, homme ou femme tout est possible.
Albert, notre commissaire, ferma la loge à clé et se dirigea vers une petite loge, tout à coté, laissée à disposition par Madame Amanda. Elle se tenait dans le couloir avec Jean et Jules. Les prenants à part, il les questionnait sur les habitudes, qui entrait dans les loges, etc.. De ses premiers interrogatoires, les réponses étaient unanimes : la petite porte des artistes était constamment fermée de l’intérieur et une seule clé sur la porte, les entrées contrôlées par Jean. L’accès de la salle et des coulisses étaient de la responsabilité de Jules et de son équipe. Aucun passage, si ce n’est les filles pour le spectacle, 2 habilleuses éventuellement en cas de problème de costumes, et aucun personnel d’entretien pendant les spectacles. Toutefois, Monsieur Jules concéda que moyennant quelques pourboires conséquents, il autorisait l’accès au Vicomte Édouard de Paris et au Duc Philippe de Brest, tous deux éperdument amoureux de Lili, 2ème danseuse, qu’ils couvraient de cadeaux. Quand à Carla, elle ne recevait aucune visite dans sa loge, même si elle acceptait les cadeaux et les fleurs d’admirateurs. Lors de l’entretien avec Jean, le commissaire Albert avait compris qu’il existait une liaison entre Jean et Lili, et que cette dernière semblait se jouer de lui, acceptant et encourageant les attentions plus que généreuses des deux nobles prétendants, ce qui ne devait pas être du goût de Jean. Aussi, notre commissaire décida d’entendre cette jeune Lili. Elle se présenta avec une déconcertante modestie non sans arrogance. Il comprit très vite que la disparition de Carla, n’était pas pour elle un drame, elle affichait un réel bonheur d’avoir endossé pour la première fois, le rôle de meneuse de revue, et ne pouvait s’empêcher de toucher le « fameux collier de Cléopâtre », ceci la plaçant dans le rôle de suspect. Le commissaire, lors du questionnement gardait en tête, que Carla avait été habillée, maquillée et que sa robe était toujours impeccable. Toujours fringante dans sa robe après sa prestation, il surveillait son regard, son maquillage et ses faux cils, tout était parfait. Pourquoi, une professionnelle, n’aurait pas réussi le maquillage de Carla, ces gestes si précis et répétitifs, étaient si simples pour elle. Mais, sous son discours de coquette, arriviste, ambitieuse, il n’en demeurait pas moins une jeune fille, éprise de Jean, d’autant que le premier rôle ne pourrait tout de même pas être un mobile de meurtre, les filles du Moulin Rouge, avaient de jolies carrières, toutes à chacune. Vins le tour du Vicomte Édouard de Paris puis du Duc Philippe de Brest. Leur discours séparés étaient semblables sur biens des points, ils étaient des rivaux, mais le plaisir de s’afficher avec Lili, comme trophée, n’avait pas des allures de passion, et si tentés soient -ils de commettre un meurtre, ce serait sur Lili, mais pas sur Carla, qui malgré sa position de meneuse de revues, ne faisait pas ombre à cette dernière. Le commissaire voulut entendre les autres filles, qui allaient peut-être révéler les petits « potins » du moulin. Beaucoup étaient dans l’admiration de Carla, une fille plutôt réservée, à fond dans ses prestations, sa manière de se livrer au public, bien contraire à sa personnalité très introvertie. Donc qui pourrait lui en vouloir ? Quand à l’ambiance, elles étaient vraiment dans une forme d’euphorie sur scène, et d’objectifs financiers, obtenir le plus pour préparer une reconversion dans l’aisance. Elles étaient soudées dans ces stratégies, car beaucoup vivaient mal la rupture des liens avec leurs familles, qui rejetaient le fait de vivre sur des générosités et l’encanaillement de cette bourgeoisie. Aucun mobile sérieux ne se profilait. Soudain le commissaire se souvint de la sœur de Carla, Rose, dont la troupe ignorait le lien de parenté avec Carla, ce qu’il avait lui même constaté. Il reçut Rose, une fille assez jolie, mais aux traits effacés, qu’il osait qualifier de « quelconque ». Elle semblait touchée par le décès de sa sœur, mais ses propos sur la défensive, ne masquait pas une jalousie non feinte. Etant habilleuse, il la questionna sur la valeur des costumes, la rivalité entre filles, le rôle de la meneuse, ses avantages, et glissa habillement sur l’entrepôt des vêtements et accessoires, notamment sur les aiguilles à chapeau. Les modèles étaient-ils semblables à ceux du commerce, des signes distinctifs, selon les habitudes des filles. Sans aucune gêne, elle reconnut sans équivoque l’aiguille à chapeau, objet du meurtre, c’était bien celle de Lili, un cadeau du Vicomte Edouard, avec des éclats de rubis. Elle rajouta faite selon les goûts de Lili. Cet accessoire étant un bien personnel, il était toujours disposé devant son miroir, lorsqu’elle ne le portait pas, et c’était scandale si une autre fille osait le toucher. Maintenant tout le personnel, les artistes et les deux nobles avaient été entendus, on avait l’arme du crime, quelques mobiles peu fiables, et pas de réels suspects. Il faudrait reprendre le raisonnement, avant de nouvelles investigations et interrogatoires. Le commissaire Albert révisait tout haut les éléments : l’arme du crime appartient à Lili,
Lili suspecte ? Pas de grande rivalité ? Pourquoi ?
Jean amoureux de Lili, jaloux de son rôle au Moulin Rouge, il ne semblait pas aimer cet avenir avec une fiancée en exhibition dans une salle déchaînée et courtisée par deux hommes de la noblesse. Jules l’intendant certifiant aucun intrus au spectacle dans le couloir ce soir là, un homme soucieux de son travail, savourant la reconnaissance de la directrice et de toute la troupe.
Rose, une sœur « cachée » qui vit de menus besognes, aucune gloire, et jalouse de la réussite de sa sœur, pourtant malgré cette jalousie, point de haine, elle respectait cette sœur, qui lui avait procuré l’emploi et les deux tentatives pour rentrer dans la troupe.
Le crime par un homme ou une femme, mais qui respecte la robe de meneuse ?
Il repassait dans sa tête tous les interrogatoires pour traquer le détail qu’il n’aurait pas souligné. Le vicomte Edouard, qui couvrait de cadeau Lili, avait fait cette remarque « Lili, je la couvre de cadeaux, j’adore me présenter à ses côtés, cela flatte tellement mon égo, mais ma cour assidue est bien platonique. Elle pourrait être ma fille, son innocence me désarme, et la posséder comme un trésor me suffit, sans en attendre une relation sulfureuse que l’on imagine, mais où je ne suis pas, et puis, cette limite, je ne la franchirai pas, elle est la fille de mon cousin le Comte Romuald, qui lui même, a été marié avec Amanda. Ce détail lui trottait dans la tête, Lili n’était donc pas une inconnue pour Amanda. Il décida de prier Amanda de venir pour en savoir plus. Amanda paraissait tendue et inquiète, les clients du spectacle étaient dans son établissement, et s’impatientaient. L’alcool aidant, le chahut était bien installé et Monsieur Jules et son équipe s’échinaient à maintenir le calme dans la salle. Le commissaire émit ses doutes sur Lili, l’aiguille à chapeau qui est la sienne et le fait qu’elle n’ait que le second rôle dans sa revue. Amanda acquiesçait, rajoutant de petites phrases assassines du genre Carla était plus réservée, moins gourgandine, ne courrait pas après les cadeaux et avances des admirateurs, etc… Il lui fit remarquer que ces critères n’étaient pas en jeu pour une revue, on parle de performance, de proximité, et dans ces domaines Lili était bien plus qualifiée. De plus, il ne semblait pas y avoir de rivalité entre les deux, aucune ne faisant d’ombre à l’autre. Et c’est dans ces propos, qu’il présentait du ressentiment envers Lili. Ne trouvant pas de soutien auprès du commissaire, elle rappela que l’arme du crime était bien la propriété de Lili et qu’elle l’exhibait sans jamais accepter de la prêter. Il acquiesça à nouveau, et introduit un autre détail, mais pour une professionnelle, la robe est bien mise, mais le maquillage est lamentable. Les paupières mal ombrées et les faux cils de travers. A cela, elle s’empressa de répondre « mais vous croyez que c’est aisé, même pour une habituée de maquiller un visage sans vie, d’une seule main, alors que l’autre main doit maintenir la tête » et là, contre toute attente, il lui dit même pour une femme comme vous ? La question la surprit, l’embarrassa et baissant les yeux, elle dit oui. Reprenant un ton plus léger, il voulut en savoir plus sur la vie familiale de Carla. Sa réponse se fit brève et dans l’instant, seule sans famille et on ne lui connaît pas de courtisan. Et pour Lili ? Baissant les yeux, oui un père je crois de la noblesse. Sur l’instant, il renchérit le Comte Romuald ? Et vous le connaissez peut- être ? Et à bout de nerf, elle répondit oui.. des nobles qui font miroiter monts et merveilles et qui ne vous épousent jamais.. Il m’a rejeté pour épouser une femme de son milieu, Lili aurait pu être ma fille, C’est ainsi que je ne l’ai jamais autoriser à porter le collier de Cléopâtre, et oui, je voulais la faire souffrir, séparée de son père et vider de toutes les larmes de son corps, ma vengeance, j’ai sacrifié Carla, la gentillesse, qui était horrifiée quand elle m’a vu porter le coup fatal. Je le regrette. Une dernière question, et pourquoi tant de soins pour la robe. Elle pleurait maintenant, cette robe, je la portais pour le premier baiser du comte Romuald. Quel gâchis.
Le commissaire Albert baissa les yeux et fit signe à ses hommes d’emmener Amanda au commissariat. Avant de partir, il chercha la loge de Lili, danseuse en pleurs, dans les bras de son père, Romuald. Le comte lui exprima ses plus vifs remerciements, il venait de disculper son unique fille, et ce, devant toutes les filles et l’équipe du moulin rouge. Durant ces dernières heures, la vie de sa fille avait basculé dans l’horreur, le bonheur de la scène en meneuse de revue, portant fièrement le collier de Cléopâtre, tout avait volé en éclat. Il ne restait qu’une jeune fille éplorée. Le comte Romuald commanda une coupe de champagne pour le commissaire, et bien que ce fut contraire au règlement, il accepta cette coupe, et le cœur apaisé d’avoir dénoué ce mystère, il quitta les lieux, essayant de ne garder en mémoire, que la magie de ce lieu suprême le moulin rouge.