Il suffirait de presque rien…

Devant l’école, le jeune Lionel, attend sa maman. Il s’impatiente un peu en regardant ses copains de classe, courir en criant vers l’arrêt d’autobus. Hé oui, bien sur, il n’en a pas le droit, sa maman vient le chercher « un peu comme un bébé » alors qu’il est déjà grand, il a dix ans.

Enfin il aperçoit l’auto s’approcher. En quelques minutes, le voilà assis sur le siège. Elle ne prend pas le chemin de la maison, il l’interroge : où va-t-on ? Chez Mamie, car j’ai des rendez-vous pour mon travail, tu gouteras chez Mamie Danièle, et je te récupère après diner. Lionel se tut, et prit son regard de chien battu, en signe de mécontentement. Mamie Danièle, comme à son habitude, le serre dans ses bras, en lui chuchotant à l’oreille « ton gouter est prêt » va vite voir ta surprise. A peine, son gouter englouti, le voilà qui interroge Mamie.

Tu sais Mamie, je suis si malheureux, maman ne m’aime pas, la voix tremblante avec son visage tout défait. Mais comment oses-tu dire cela ? Pourquoi, que s’est-il passé avec ta maman, elle t’a grondé ?

Ho non, Mamie, mais elle ne reste pas souvent avec moi, elle est toujours occupée, je sais bien qu’elle travaille beaucoup, mais je sens bien qu’elle ne m’aime pas. Allons mon garçon, explique toi vraiment. Et Lionel, des larmes plein les yeux, va tout lui révéler. Tu vois, mes copains parlent de l’amour, et m’ont expliqué que lorsqu’on aime quelqu’un, on fait tout le temps des gros bisous sur la bouche, et maman, fait tout plein de gros bisous sur la bouche à papa, mais jamais à moi. Je n’ai droit qu’à de tout petits bisous sur les joues, dans le cou, ou sur le front après l’histoire du soir. Bien sur, elle dit souvent qu’elle m’aime, mais jamais un seul gros baiser. Souvent j’ai envie de lui dire «  je suis venu te dire que je m’en vais » pour qu’elle me retienne, et me fasse ce baiser d’amour.

Contre toute attente, Mamie se mit à rire. C’est pour cela que tu es triste ? Je vais tout t’expliquer sur les choses de l’amour. Tu vois, mon enfant, l’amour a bien des formes, et il est bien différent entre les adultes et les enfants. Entre les adultes, les baisers sont différents, sur la bouche, langoureux, longs, et avec des jolies paillettes dans les yeux. C’est ce que l’on appelle les préliminaires de l’amour, et après, par pudeur, ils se cachent « dans leur chambre fermée à clé» pour se faire plein de câlins. C’est bien ce que Paul m’a dit, et que les câlins, ils les font tout nu, et font des petits bruits. C’est cela Lionel, ces petits gémissements à la manière des humains, comme le ronron des chats lorsqu’ils sont heureux, tu me comprends.

Mais il existe l’amour d’une maman, c’est tout autrement. Il n’y a pas de bisous sur la bouche, mais plein de petits bisous, de sourires, de câlins dans les cheveux et des milliers de petits gestes pour faire plaisir. Tu vois, tout pareil, elle te fait des petits cadeaux, te propose des sorties qui te plaisent et plein d’autres choses. Les mamans donnent la vie, et elles prennent soin des enfants, les protègent, et les inondent de tout leur amour maternel, mais aucun désir amoureux. Et lorsque tu seras plus grand, tu connaîtras le plaisir de ces baisers avec une jolie fiancée. Ce désir amoureux existe entre adultes. Il faut apprendre à bien se connaître, sentir son corps, le découvrir. Lorsqu’il s’éveillera au désir et au plaisir, et cela n’arrivera qu’après douze, treize, quatorze ou quinze ans. Lionel semblait accepter cette version, qui lui semblait cohérente. Mais comment saurait il quand ce serait le moment pour lui ? Ne t’inquiète pas, tu le sauras bien tout seul, ton corps se manifestera et les poils et la barbe pousseront. Ce sera les premiers pas de l’adulte, devoir se raser le matin.

La tristesse avait disparu et à présent, ils riaient tous les deux. Alors mamie, je laisserai pousser ma barbe, pour être un adulte plus vite, et je ferai tout plein de bisous à mes fiancées. Soudain, Lionel prit un air grave, mais alors Audrey, ma sœur a quinze ans, et comme c’est une fille, elle n’a pas de barbe, et ne va pas savoir quand elle sera prête pour les baisers ? Oh mais bien sur, qu’elle saura, et je peux te dire, elle le sait déjà. Tout d’abord, observe ses jambes, elle a des poils, et elle emprunte l’épilateur de maman, elle a des rendez-vous chez le coiffeur, l’esthéticienne. Elle se prépare, se fait joli. Bien sur, mais Audrey est toujours soignée depuis toujours, ses robes, le parfum, etc..  « c’est une fille » . Mais ne trouves-tu pas qu’elle a un peu changé ? Du vernis, du maquillage, et puis lorsqu’elle part au lycée, sa démarche est plus féminine, plus gracieuse, elle rougit parfois lorsqu’elle parle aux garçons de son âge. Ses tenues plus affriolantes, que ton père désapprouve et juge trop sexy pour 15 ans, tout cela est dû à son désir de plaire. Comme dit si souvent ton papa, c’est l’heure des fiancés, des scooters devant la maison, et du téléphone portable au cours du repas. Comme pour les petits oiseaux au printemps, c’est l’heure des amours.

A présent, es-tu toujours malheureux, et doutes-tu que maman t’adore. Oh non, Mamie, j’ai bien compris, et puis j’ai tellement de chance de t’avoir. Tu as toujours du temps pour moi et tout m’expliquer. Mamie, toi aussi tu fais toujours des gros bisous à papi, ça veut dire, qu’on peut s’aimer même très vieux ? Pourtant, lorsque je dors chez toi, vous ne fermez pas la porte de la chambre à clé, et je ne vous ai jamais entendus faire des grognements ou des gémissements. La nuit, je n’écoute que les gros ronflements de papi, c’est de l’amour ? Bien sur, ces ronflements me rassurent, je sais qu’il est tranquille, apaisé et qu’il dort bien, tout prêt de moi, pour vivre très longtemps près de sa femme. Et puis, même âgés, on se fait toujours des bisous et des câlins, mais comme nos corps sont plus engourdis, on a oublié la fougue de nos nuits, nos gestes sont plus lents et plus silencieux, mais l’amour existe toujours. Et puis, tu ne voudrais pas que je porte des minijupes, avec mes genoux rocailleux, et des décolletés plongeants, lorsque ma poitrine est quelque peu tombante, je ne serai pas très sexy, mais ne sois pas inquiet, mes robes fleuries sont toujours élégantes pour séduire encore mon époux.

Mamie, tu es extraordinaire, avec quelques mots d’explications, tu m’as rendu toute ma joie de vivre. Se sentir aimer, me fait tellement de bien, du soleil dans tout le corps. Je découvre tout plein d’envie dans mon cœur, je suis « un homme heureux ». Plus besoin de la superstition d’un verre cassé, pour concrétiser le bonheur. Tout à l’heure, au retour de maman, je lui sauterai au cou, je lui prendrai la main, et je lui dirai combien je l’aime…Il suffisait de presque rien….